QUI SUIS-JE > JE DESCENDS D'UN SINGE (page cachée)
Je descends d'un "singe"...
[biographie personnelle]
Mon grand père était typographe. « Ouvrier-typographe », précisait mon père, qui le rattachait ainsi à cette aristocratie ouvrière qui avait commencé d’émerger à la fin du XIXème siècle. Bien organisés syndicalement, bien payés, les « singes », comme on les appelait en argot, avaient des conditions de travail difficiles mais l’atmosphère humide des ateliers d’imprimerie, le bruit, les odeurs d’encre, de papier et de colle ne les empêchaient pas de se considérer comme privilégiés par rapport à des catégories plus pauvres. Ils tiraient en outre une fierté légitime à participer à la diffusion des savoirs à une époque où l’on commençait de se préoccuper de prolonger l'action de l'école au delà de l'enfance par l’éducation populaire. Nombre d’entre eux étaient à l’avant-garde du mouvement ouvrier organisé au sein duquel leur niveau d’instruction leur permettait de remplir aisément les tâches rattachées à ce type d’organisation : comptes rendus de séances, livres de comptes, correspondance.
D’un tempérament réservé quoique inquiet, très attaché à son épouse, mon grand-père préférait d’autres activités sociales à l’engagement politique. Il était clarinettiste, et, le dimanche venu, préférait retrouver ses amis de l’orchestre de l’Harmonie municipale pour répéter quelque polka de Jean-Baptiste Lemire plutôt qu’aller aux réunions du syndicat des typographes.
Il rapportait chaque soir à la maison le journal qu’il imprimait. Lorsque son fils fut en âge de lire, il commença de lui rapporter l’Intrépide, un journal illustré pour enfants, qui fit la joie du sien. Quand mon père eut assez des aventures de Tartarin et de leur parfum de colonialisme triomphant, il commença de nourrir sa conscience naissante dans la lecture du quotidien et quelques années plus tard, il s’engagea dans la voie du syndicalisme ouvrier qu’avait négligée mon grand-père.
Profitant de ce qu'on appelait alors la "promotion ouvrière" (qu’on a nommée depuis "formation permanente"), il s'éleva, socialement parlant, au dessus de ses origines par d'opiniâtres efforts de perfectionnement personnel. Toutefois, il lui semblait toujours avoir une dette envers son père. J'en fus le principal bénéficiaire. Il m'aidait dans mes rédactions, dans mes dissertations de français puis dans les lettres de candidature que je fus amené à écrire. Rédiger devenait avec lui une aventure épique. Songeant au destinataire, il fallait se creuser la cervelle pour trouver le mot exact ou l'expression la plus fidèle à l’intention, veiller aux nuances, aux règles de la syntaxe et de la grammaire, en bref, astiquer la virgule. Que de ratures, que de brouillons avant d’aboutir à une forme satisfaisante. Je compris alors que l’écriture est une maîtresse exigeante qu'on ne satisfait qu’en se pliant à ses contraintes.
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