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Joseph Pujol ou l’art du pet

  • pierre-andré dupire
  • 11 oct. 2016
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 2 déc. 2019

Palm Beach Gardens, 4 octobre 2016

Il fut une époque où régnait une totale liberté d’excrétion, où le pet n’avait de secret pour personne, ou bien n’était qu’un secret bien éventé.


Un moment mitron dans une boulangerie de Toulon, Joseph Pujol s’intéressait davantage à la fermentation intestinale qu’à celle du levain naturel.  Commençant de tirer un petit succès local de la maîtrise de ses muscles abdominaux et de son sphincter anal, il fut remarqué, monta à Paris où il obtint rapidement au Moulin Rouge un triomphe retentissant. Pétomane virtuose, il s’y produisait le soir, à 20 heures pétantes, reproduisait quelques mélodies simples, imitait le son du canon, celui du tonnerre ou d’un tissu qu’on déchire, fumait une cigarette par le truchement d’un tube enfoncé dans l’anus et pouvait d’un souffle éteindre les lumières de la scène. Il lui arriva de se produire devant la fine fleur de l’élite. Sigmund Freud, qui, n’avait guère d’humour et cherchait constamment à comprendre pourquoi l’on riait, lui rendit visite. Thomas Edison qui manifestait un vif intérêt pour la transmission sonore, filma Jospeh Pujol lors de l’Exposition universelle de 1900 à Paris. Le fils aîné de la reine Victoria, alors Prince de Galles avant de régner sous le nom d’Edouard VII, vint aussi le rencontrer de même que Léopold II, roi de Belgique et souverain du Congo. Bref, il avait accédé au firmament des stars par la voie du météorisme. Lorsque la Première guerre mondiale éclata, il retourna à Marseille se consacrer dorénavant à la seule fermentation du levain.


De cet amuseur public, il ne reste donc que quelques images animées mais muettes. Nous ne saurons jamais quels échos sonores il pouvait tirer de la modulation de ses gaz intestinaux. Nous pouvons en avoir une idée en écoutant sur Soundcloud un enregistrement datant de 1904 de Mr Lefirès, autre pétomane alors connu. Mais une grande voix s’est tue qui restera à jamais inaudible. C’est une grande perte pour l’histoire du Music-Hall. Pour l’Histoire même ! Car Joseph Pujol a su exprimer quelques-unes des plus hautes aspirations de la civilisation occidentale. C’est un mythe;  c’est un mythe musical; c’est Orphée descendu sur les grands boulevards. Dans les milieux culturels français, un silence gêné suivit pourtant son retrait de la vie artistique. Nul ne souhaita regarder en arrière. On eut honte d’avoir tant ri de ce qui n’était que du vent. Les élites ne voulurent plus entendre parler du Pétomane. Il sombra dans l’oubli. Pourtant, en 1965  Jean Nohain et François Caradec lui consacrèrent une biographie. Un cinéaste italien, Pasquale Festa Campanile, un cinéaste italien, fit de lui le héros du film Il Petomane qu’interprète Ugo Tognazzi.  On trouve aujourd’hui sur YouTube le film d’Edison, un documentaire le concernant ainsi qu’un court-métrage anglais écrit pour la BBC par Galton et Simpson, duo d’auteurs célèbres, dans lequel l’acteur Léonard Lessiter interprète avec conviction Joseph Pujol. Mais tout de même, voici une belle tradition aujourd’hui ignorée.


Outre Manche pourtant, Paul Olfield entretient cet art du pet. Il en fait même profession depuis 1991, après qu’il eût découvert que le yoga lui permettait de maîtriser ses flatulences. Sous le nom de Mister Méthane, il se produit dans le monde entier, participe à des émissions de télévision, s’est produit sur scène à Broadway. Lors de ses prestations, il  ponctue les valses de Strauss, interprète God save the Queen ou accompagne des groupes de rock. Nombreux sont les musiciens à lui avoir intenté un procès au motif qu’il dénaturait le sens de leurs compositions. Il revendique aussi le plus grand nombre de plaintes exprimées après une émission de télévision. C’était en Australie. Il venait d’interpréter Happy Birthday à l’intention d’un ex champion de tennis et de souffler les bougies du gâteau d’anniversaire. Dans Le Cirque des Horreurs, spectacle forain populaire en Grande-Bretagne, il côtoie l’homme extensible, celui qui décapsule les bouteilles de bière avec son arcade sourcilière, ou encore l’avaleur de sabre qui fait gicler de l’eau par ses piercings faciaux ou soulève des poids avec un crochet passé dans le nez. En Europe, Mister Méthane a plusieurs fois concouru dans les émissions du type A la recherche du nouveau talent sans jamais parvenir à se hisser sur le podium final. Peut-être manquait-il du souffle nécessaire ?


Mais c’est sans doute outre Atlantique que Joseph Pujol a laissé l’héritage le plus durable. On y a les narines moins pincées que chez nous et l’humour scatologique est aux États-Unis une véritable institution. Surtout, comment ne pas trouver moralement exemplaire celui qui fait de son anomalie physique le moyen de sa réussite ?


On a donc traduit, publié, réédité sa biographie dont on a fait un documentaire humoristique. Et puis Joseph a Pujol a inspiré plusieurs plusieurs comédies musicales, notamment The Fartiste (Le pétomane), primée lors de l’International Fringe Festival de New-York de 2006, ou encore A passing wind (Un Vent qui passe) présentée au Festival International des Arts de Philadelphie en 2011. Dans la première, en bonne logique, on avait confié aux instrument à vent ses productions sonores. Dans la seconde, on fit appel à deux comédiens pour jouer son rôle sur la scène. En coulisse, C’est avec sa bouche que l’un d’eux imitait le bruit des pets. On voit par là que Joseph Pujol demeure un artiste unique par l’expression de son talent.

Pierre-André Dupire


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