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Marseille, encore / Provence

  • pierre-andré dupire
  • 29 mars 2016
  • 3 min de lecture

Marseille, 21 mars 2016

Ancrée dans son vieux port, Marseille garde hissé haut le pavillon de l’Histoire. De son décor sans cesse changeant s’élève un parfum indéfinissable, l’odeur des lointains proches mêlant les souvenirs d’Arthur Rimbaud, d’Edmond Dantès et de Fabio Montale. Venir ici, c’est se retrouver sans autre boussole que le baiser du mistral ou le sillage des bateaux qui emportent les touristes sur les îles voisines où s’ouvrent déjà les portes du songe ou du harem. Marseille, c’est un entonnoir, c’est une forme d’alambic où macèrent depuis des siècles des fruits d’outremer. S’il arrivait qu’un jour, je me convertisse, j’aimerais que ce soit près de quelque pilier de sa cathédrale qui ne me plait guère mais dont le byzantinisme me semblerait répondre de façon adéquate à l’exode mental dont je serais alors l’objet.

C’est que j’éprouve toujours dans cette ville quelque tremblement spirituel. La dernière fois que j’y vins, on attendait un cycliste qui devait rouler sur un fil tendu au dessus du quai des Belges. Le spectateur situé à l’ouest de ce quai aurait aisément pu le voir s’élever vers la basilique Notre-Dame de la Garde. Le mistral vint ajourner cette tentative. Le paradis, quoiqu’il en soit, me semble plus proche ici qu’ailleurs. On en fait aujourd’hui la publicité sur ce même quai des Belges où la grande roue tourne en élevant dans le ciel d’un bleu très pur ses nacelles bondées de candidats. C’est une invitation à se hisser vers l’azur, une réclame pour l’au-delà. Dans notre monde un peu troublé, le paradis reste une valeur refuge et la question des moyens d’y accéder reste très débattue. La grande roue fait face à l’église Saint Ferréol, autre lieu propice à l’élévation des âmes. De celle-là, on redescend toujours et la quête entreprise n’est au mieux qu’un cercle vicieux. Depuis celle-ci, on peut espérer se hisser plus haut mais il arrive parfois qu’on chute et j’ai connu un homme fraichement converti qui n’ayant pu supporter la fréquentation des cimes, se jeta du haut des tours de Notre-Dame à Paris.

Voilà l’un des mystères de notre condition. Comme les funambules qui “savent que l’abîme est sous eux mais qui s’engagent pourtant sur le fil”, l’homme aime les paris pascaliens.   Comme le dit Alexandre Vialatte, tous ces monte-en-l’air s’acharnent sur “la serrure d’un coffre fort plein de ciel”. On a toujours ainsi balancé entre la voie dionysiaque et la voie apollinienne. Peut-être cette lutte m’apparaît-elle plus manifeste à Marseille parce que nulle part mieux qu’ici ne semblent s’affronter l’erratique et l’enraciné, le sensuel et le rationnel, l’insaisissable et l’ordonné, l’Orient et l’Occident en quelque sorte.

Mêmes contrastes dans la performance à laquelle j’ai assisté le soir de ce même jour à l’Ecole de Danse, rue Ricard dans le troisième arrondissement de la ville. Deux danseuses (l’une est ma fille aînée) vont et viennent sur la scène mais n’offrent que leur dos à la vue du public. Alternance de mouvements lents et de moments fébriles où elles paraissent converser avec leur ombre. Puis elles se dénudent, se rhabillent, se dénudent, se rhabillent, se dénudent encore. La danse se fait alors leçon d’anatomie. On ne voit plus que muscles, tendons et ligaments. Bras repliés au dessus des reins, elles cherchent sur leur peau quelques points où s’accrocher, leurs doigts absorbés dans un exercice agité de broderie dermique. Elles s’emploient à cette gymnastique lorsque le Dies irae du Requiem de Verdi résonne. Elles paraissent vouloir se défaire de cette chair qui les tourmente et la griffent désespérément. La chorégraphe explique avoir voulu qu’on songe à la peau du Christ. Quoique j’y ai moi-même vu Hercule tentant d’arracher la tunique de Nessus qui le ronge, l’image du Christ est au fond bienvenue, les danseuses quittant la scène le dos lacéré : des stigmates en somme. On atteint la joie dans la souffrance par chez nous.

Pierre-André Dupire

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