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Bodie / Californie

  • pierre-andré dupire
  • 6 mai 2015
  • 3 min de lecture

Bodie, 3 mai 2014

Pour l’enfant amoureux des petits  formats dessinés qu’on trouvait dans les années 60 (Kit Carson, Buck John ou Hopalong Cassidy), découvrir Bodie, c’est comme voir la photographie de l’album dont le générique de film fait défiler les feuillets se fondre à la réalité et s’animer.

A vrai dire, Bodie n’est plus guère animée puisque c’est une ville fantôme. Les USA ont le record du monde de ces villes que leurs habitants abandonnent au fil des années. Avec un génie certain pour la production en série, les américains comptabilisent ainsi près de 2000 villes fantômes.

Bodie  est la plus célèbre. Elle est située sur les contreforts orientaux de la Sierra Nevada où, a la fin du XIXème siècle, on découvrit le grand filon d’or qui changea le cours de l’histoire californienne.

Aux plus belles heures, jusqu’à 35 compagnies minières s’y appliquaient à forer le sol. D’ailleurs, la première chose qu’on voit lorsqu’on arrive par la piste caillouteuse, ce sont les puits de mines, pâtés de sables ocres et de quartz aurifère qui truffent les collines environnantes.

Celles-ci étaient vierges lorsque vinrent les premiers chercheurs d’or. L’un d’eux y découvrit un gisement. La ville porte son nom mais il n’eut pas la chance d’en voir l’essor considérable. Il mourut dans le blizzard alors qu’il était allé s’approvisionner à la ville voisine qui n’était pas tout près, comme on l’imagine bien. Or il fait aisément -25 degrés en hiver dans cette région.

En 1861, il n’y avait là qu’un campement abritant  25 prospecteurs. L’annonce du gisement prometteur attira tout ce qui était en état de tenir une pelle. W. Bodie avait laissé sa femme derrière lui. Des fermiers abandonnèrent leur charrues, des avocats leurs dossiers, des dentistes leurs mâchoires, des prêtres leurs missels.  Certains arrivèrent d’Ellis Island où ils avaient accosté six mois auparavant. D’autres avaient doublé le Cap Horn pour rallier San Francisco dans un clipper qui allait y pourrir, son équipage l’ayant déserté pour se joindre aux prospecteurs.  Bref, en quinze ans, la population s’éleva à 10 000 personnes et Bodie devint ainsi la deuxième ville de Californie.

Mais il en est des chercheurs d’or comme des criquets et lorsqu’on leur promit des gisements plus prometteurs dans le Montana et l’Utah, leur nuage de déplaça.

Pourtant Bodie offrait toutes les commodités nécessaires. Le soir venu, le petit chercheur d’or y remisait sa pioche pour aller monnayer la pépite; le télégraphiste quittait le bureau de poste, saisissait son saxophone et partait répéter avec l’harmonie municipale; Li Huong, immigré de Canton, quittait sa laverie pour la fumerie d’opium du quartier chinois; les mineurs du puits numéro 3 de la Standard Company s’assemblaient pour évoquer l’état des galeries sud qui menaçaient de s’écrouler; le croquemort donnait un ultime coup de râpe au cercueil de la victime du prochain règlement de compte; au premier étage d’un des 65 saloons, un joueur pipait ses dés tandis que Madame Moustache, récemment arrivée en ville, se refaisait une beauté avant d’aller risquer ses dernières économies sur une table de jeu; venue de Poméranie, Lisa, la patronne  d’un des bordels de la ville qui jugeait injuste la réputation qu’une ligue de vertu lui voulait faire, bravait l’opinion publique en promenant ses filles en calèche.

On peut s’étonner qu’une ville offrant ainsi à l’homme des réponse à ses aspirations les plus spirituelles, puisse avoir été désertée. Mais c’est que Bodie était loin de tout. On y avait construit une voie ferrée pour y acheminer les approvisionnements nécessaires mais l’absence de forêt avoisinante obligeait qu’on y importât jusqu’au bois de soutènement des tunnels miniers. Et puis au fil du temps, les filons s’épuisèrent, les coûts d’extraction renchérirent, les mines fermèrent les unes après les autres. Un tremblement de terre endommagea certaines galeries qu’il était trop onéreux de restaurer.  Bref, la ville se vida. À mesure qu’elle se dépeuplait, les églises se multiplièrent. Moins on est de fous, plus on prie et aux salles de jeu désormais désertées, on préféra d’autres formes de pari, plus pascaliens.

En 1932, un dernier incendie eut raison des ultimes habitants qui désertèrent les lieux.

La ville fantôme est depuis 1981 un site historique national. Ne s’y promènent plus que les touristes en mal de lieux  intemporels et les Rangers chargés de la surveillance et qui occupent une des 140 maisons préservées.

On regarde à travers les vitres, on y voit des vestiges poussiéreux, on prend conscience de la fragilité des choses, puis on marche jusqu’au parking pour reprendre l’automobile et continuer la route vers le parc national du Yosemite car tel est le sens de l’Histoire.

Pierre-André Dupire

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