Chiapas / Mexique
- pierre-andré dupire
- 18 févr. 2015
- 2 min de lecture
Yaxchilan, 16 avril 2014
Les mornes et pauvres plaines karstiques du Yucatán ont fait place aux latifundias du Campeche puis aux prémonts du Chiappas. Je pensais jusqu’alors les pluies tropicales drues mais de courtes durée. Durant les cinquante derniers kilomètres qui nous séparaient de Palenque, il n’a cessé de pleuvoir. Les voitures roulaient phares allumés, projetant de hautes gerbes d’eau. Nous nous sommes réfugiés à l’accueil de notre hôtel, El Colombre, pour attendre que l’averse cesse et aller découvrir notre case. Son toit de palmes n’avait pu empêcher l’inondation. On est venu déplacer les rameaux comme on remet des tuiles en places mais l’eau dégoulinait toujours. Nous aurions pu passer la nuit à déplacer notre lit mais l’hôtelier, aussi désolé qu’aimable, est venu tendre une bâche au dessus du lit. C’est ainsi sous un baldaquin de plastic que nous avons passé nos premières heures nocturnes dans la jungle équatoriale.
De Palenque, nous avons le lendemain gagné Frontera Corozal sur le Rio Uzumazinta qui sert de frontière naturelle entre le Mexique et le Guatemala. Nous y sommes arrivés tard pour dormir dans une hutte en planche avant d’être réveillés par des ronflements qui, dans notre demi sommeil, nous avaient semblé provenir d’une hutte voisine. Mais ces sons rauques et puissants semblaient trop vindicatifs pour être le fait d’un dormeur. Nous venions en fait de faire connaissance de l’alouate, le singe hurleur inscrit au Guinness des records comme le plus bruyant de tous les animaux. L’alouate ne fait jamais de pause syndicale et pousse en permanence des cris pour défendre son territoire et éviter les conflits avec ses congénères. Cela fait dire de lui qu’il est le plus diplomatique des singes mais une diplomatie qui ne s’exerce pas dans le silence des ambassades, une diplomatie qui tient le monde éveillé. L’alouate à aussi la particularité de posséder une vision en trichromie qu’il nous a fait partager durant toute la nuit : nous en avons vraiment vu de toutes les couleurs.
Heureusement, à une dizaine de kilomètres en aval, sertie dans un méandre du fleuve, se cache la ville ruinée de Yaxchilan à laquelle on accède en prenant une barque à fond plat. Nous avons payé 600 pesos pour cette traversée qui en avait coûté 3 à l’archéologue danois Frans Blom le 6 janvier 1944. Frans Blom s’est pris de passion pour les indiens Lacandone qui peuplent cette région et qu’il craignait de voir disparaître. Est-ce d’avoir augmenté le prix de la traversée mais ils sont parvenus à croître en nombre, démontrant le pouvoir des coefficients multiplicateurs.
Domingo, le pilote de la barque (on dit le lanchero) a pris soin de stopper le moteur lorsque nous sommes passés à proximité d’un crocodile puis s’est approché de la berge afin que nous puissions nous plaindre auprès des alouates de leur tapage nocturne. Le site était désert à l’heure matinale à laquelle nous y avons débarqué. Plus qu’ailleurs et malgré le travail d’excavation des archéologistes, les ruines semblent indissolublement liées à la gangue végétale dont on les a arrachées. Les édifices s’y succèdent sous les ombrages des sapotilliers et des acajous. De certains eucalyptus, on ne distingue que les troncs immenses qui ont percé la canopée pour s’élever au delà, vers la lumière.
Pierre-André Dupire



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