Cité royale de Marrakech / Haouz
- pierre-andré dupire
- 15 mars 2015
- 4 min de lecture
Marrakech, 10 février 2014
Tout juste arrivés à Marrakech, la conversation avec le chauffeur de taxi, venu nous chercher à l’aéroport, porte sur le roi qui séjourne dans la ville rouge où il s’est fait remarquer à plusieurs reprises, circulant “seul” dans sa Mercedes décapotée dont il prend soin de relever les vitres blindées. C’est une manière habile de soigner son image. Il faut savoir que son père, Hassan, II l’avait cruellement corrigé alors qu’adolescent, il était sorti seul du palais royal. Censée édifier le futur monarque, la punition semble lui avoir donné le goût de l’escapade. On l’a donc croisé de jour comme de nuit, dans les quartiers bourgeois comme dans les zones populaires. On raconte qu’il s’est arrêté pour converser avec un marchand ambulant auquel il a fait porter le lendemain un importante somme d’argent. Il est dans la fonction du commandeur des croyants d’exercer la bienfaisance, al-Ihsân, qui est l’un des principes majeurs de l’Islam. Mais Mohammed VI, qui anime de nombreuses fondations à caractère social, ne fait pas que multiplier les actes de charité. Selon notre chauffeur, le monarque profite de ses sorties pour s’assurer du fonctionnement des institutions et n’hésite pas à en sanctionner les responsables lorsqu’il constate leurs manquements. Notre chauffeur semblait surtout songer à l’absence de respect des fonctionnaires pour les horaires d’ouverture des organismes publics. Les motifs sont évidemment plus sérieux. D’un autre ami, nous avons appris que le wali de Marrakech lui-même avait été limogé du jour au lendemain. Responsable des autorisations dans les grands projets d’aménagements de la région, le wali avait certainement fait davantage qu’arriver trop tard à son bureau ou lâcher la bride aux plantons de service à la wilaya. Tout cela rend ce monarque assez sympathique. Sa popularité a bien sûr d’autres motifs. Le niveau de vie des marocains s’est largement accru ces dernières années. Les grands chantiers engagés dans le pays portent leurs fruits et si la pauvreté reste préoccupante, il existe indéniablement un modèle économico-politique marocain aux résultats prometteurs. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer les visites du roi. Elles lui donnent la possibilité de corriger des formes abusives de justice et de rétablir un ordre souvent bafoué en jugeant lui-même des faits plutôt qu’en se les laissant conter. Il apparaît ainsi plus proche du peuple. Le personnel du palais, cet opaque Mahzen qu’on dit tout puissant, ne paraît ainsi pas le confisquer à ses sujets. Il apparaît comme un homme libre, capable de quitter les ors de ses demeures pour approcher le peuple dont seule la charge du royaume l’éloigne. Ce faisant, il s’inscrit dans la tradition de ces princes préférant se forger leur opinion plutôt que se contenter de prendre l’avis de leurs conseillers. Ainsi Shéhérazade engage-t-elle le récit du second mariage du calife Hâroun al Raschîd dans le livre VIII des Mille et une nuits : ” On célébrait à Bagdad la fête de Arafa. Le calife Hâroun al Raschîd, assis sur son trône, venait de recevoir les hommages des grands de son empire. Peu satisfait de ces démonstrations de respect et de soumission, il voulut voir par lui-même si ses ordres étaient fidèlement exécutés, et si les magistrats n’abusaient pas de leur autorité. Il aimait d’ailleurs à soulager les malheureux, à répandre des aumônes ; et la circonstance de la fête de l’Arafa l’engageait à remplir lui-même un devoir de religion si cher à son cœur. Dans ce dessein, le calife se tourna vers Giafar le Barmecide, et lui dit : « Giafar, je voudrais me déguiser, me promener dans Bagdad, visiter les divers quartiers de la ville, voir ses habitants, entendre leurs discours, et distribuer des aumônes aux pauvres et aux malheureux : tu m’accompagneras, et tu auras grand soin que nous ne soyons reconnus de personne. » « Commandeur des croyants, répondit Giafar, je suis prêt à exécuter vos ordres. » Le calife se leva aussitôt : ils passèrent dans l’intérieur du palais, prirent des habits convenables à la circonstance, et n’oublièrent pas de garnir d’argent leurs poches et leurs manches. Ils sortirent ensuite secrètement, et commencèrent à parcourir les rues et les places publiques, faisant l’aumône à tous les pauvres qui se trouvaient sur leur chemin.” Évidemment, le monarque peut bien s’afficher en bienfaiteur, il n’abandonne rien de son pouvoir régalien. On devine les gardes du corps royal proches quoique discrets. On raconte qu’ils ont écarté un importun qui s’était placé devant la voiture du Prince à un feu rouge. Mais l’opinion qui publie et accrédite la geste royale n’en retient que le meilleur. Elle agit pour la renommée et on se souviendra peut-être de Mohamed VI comme de ces rois aux manières simples , le “bon roi” René d’Anjou et de Provence, ou Stanislas Leszczynski, duc de Lorraine après avoir été roi de Pologne, qui, lorsqu’il se promenait dans Nancy habillé simplement pour aller y suivre l’état d’avancement des travaux qu’il avait commandés et que les nancéiens le saluaient aux cris de “Vive le roi!”, leur répondait attendri :”Mes amis, mes amis, c’est votre père!”. On n’a pas encore entendu Mohammed VI proférer de telles paroles. Il semble se contenter de sourires et de saluts amicaux.
Pierre-André Dupire



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