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Hauteur, quelle hauteur ! Ponomarev à Linz

  • pierre-andré dupire
  • 6 juin 2018
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 2 déc. 2019

Marrakech, Maroc, 6 juin 2018

Nous aspirons tous à nous élever mais l’artiste est de ceux qui lèvent le regard le plus haut. Alexander Ponomarev est né à Dniepropetrovsk où l’industrie aéronautique était importante. Pourtant, Ponomarev rejeta le ciel et choisit la mer. Il se fit sous-marinier puis navigua dans la marine marchande avant de devenir l’artiste qu’on connaît. A force de regarder l’horizon, mer et ciel finissent par se confondre. On passe insensiblement d’un plan à un autre comme sur ces gravures où l’on voit plan par plan se métamorphoser, ici une baleine en coque de vaisseau, là une mouette en bisquine, ou un cygne en goélette. Une généalogie similaire semble avoir réuni en Ponomarev l’homme-poisson et l’homme-oiseau.


Lors de la 3ème Biennale d’Art contemporain de Moscou, son installation Rétroaction[i] évoquait déjà cette aspiration vers les hauteurs. Le titre faisait allusion à une notion de cybernétique qui  décrit l’action d’un effet sur sa propre cause. L’installation réunissait par un faisceau de fibres une immense maquette d’avion inachevée à un tandem de 15 places, soit autant  qu’il y avait de républiques soviétiques. Les pédaliers du tandem étaient reliés de manière à ce que les 15 cyclistes pédalent à la même cadence de façon à mettre en mouvement le géant ailé dont on pouvait toutefois douter qu’il puisse jamais voler. Cette solidarité cycliste était une façon de parler des liens d’engagement et de dépendance réciproques qui peuvent unir les hommes dans une tâche commune et l’œuvre renvoyait ainsi au mythe communiste et à sa mise en œuvre avortée. En cela, métaphore de l’aspiration humaine à un monde meilleure, elle n’était pas sans exprimer une certaine forme de mélancolie.


Réalisé sur les rives de la Klyazma, rivière de la région de Moscou, en 2004, Le Hollandais volant[ii] mettait également en scène, et de manière particulièrement ironique, cet opiniâtre effort d’élévation. Un vieux navire, suspendu aux poutres d’un portique roulant, surplombait une rampe de mise à l’eau. Une énorme boule de fromage de Hollande reposait sur son pont. L’artiste avait greffé au navire des ailes de métal mobiles qui se mettaient à battre lorsqu’un visiteur s’asseyait sur une balançoire située à l’aplomb de la poupe. En chaussant un casque stéréophonique, on pouvait entendre diffusé sur l’un des canaux Le Corbeau et le Renard de Jean de La Fontaine, et sur l’autre la même fable de l’écrivain russe Ivan Krylov. Pour Ponomarev, l’œuvre était à comprendre comme un hommage à la piraterie, mais littéraire, puisque que Krylov avait emprunté le thème de la fable à Jean de La Fontaine qui lui-même l’avait reprise d’Esope.


L’œuvre avait une dimension éminemment grotesque et aurait pu s’intituler : “Mon royaume pour un fromage !” Mais c’est une politique un peu courte que de promettre à l’opprimé qu’il mangera à sa faim. Il lui faut partager d’autres aspirations. A travers cet échafaudage bizarre, poétique, post-moderne, russe en un mot, s’affirmait encore et toujours l’âme voyageuse et le désir de quitter la terre et ses attaches. Là encore, malgré les vaines gymnastiques auxquelles on pouvait se plier depuis la balançoire, les grandes ailes traînaient piteusement comme des avirons.


Ensuite, il y eut le projet Agravitation[iii] présenté lors de la 4ème Biennale internationale de Marrakech en 2012. Un hélicoptère de type Alouette 2 avait été enchaîné à l’envers, pales dirigées vers le sol, au-dessus du jardin du théâtre royal où il semblait en suspension. L’alouette est un oiseau au vol particulier : elle monte en spirale très haut dans le ciel avant de se laisser tomber en piqué jusqu’au sol comme une pierre. Impossible de n’être pas sensible à cette dimension face à l’installation de cet engin posé entre le ciel et le plancher des vaches et dont on ne savait trop s’il montait ou s’il descendait; s’il était soumis à la loi de la gravité ou s’il allait échapper au contraire à la tyrannie de la pesanteur.


A la 5ème Biennale de Marrakech, ce fut une réplique du Costa Concordia qu’Alexander Ponomarev fit échouer au sommet d’une colline de pierre à proximité de la ville, dans le désert d’Agafay.[iv] Il fallut 2 mois et 15 personnes en permanence pour bâtir ce vaisseau fait de tubes métalliques, de bambous et de roseaux, long de 60 mètres et haut de 15 qui dominait l’erg comme l’Arche de Noé sur le mont Ararat.


Bref, on aura compris que le combat d’Alexander Ponomarev se joue entre s’élever ou tomber. Mais n’est-ce pas l’image même de l’homme ? Le  mouvement est une révolte de tout son corps qui refuse de se laisser immobiliser. C’est lorsqu’il s’élève qu’il prend conscience de son poids. C’est un  Hercule de foire enchaîné qui montre ses biceps sous la contradiction des forces qui le contraignent.


L’installation de Linz s’insurge pareillement. On n’a jamais vu navire retenu à terre par autant de câbles. Et pour cause. Il est suspendu à 50 mètres au-dessus des toits de la ville autrichienne, pèse deux tonnes et demie, fait près de 3 mètres de large, 21 mètres de long et 18 mètres de haut. Le vaisseau volant (c’est le nom de l’installation) sera le clou du festival Höhenrausch[v], manifestation régulière dédiée aux arts numériques et baptisée cette année Das andere Ufer (l’autre rive).


Refusant toute pesanteur, Le Vaisseau volant affronte le ciel. Une société de construction métallique autrichienne a relevé le défi lancé par l’artiste et enchaîné le navire  au sol. A travers la Keine Zorgen Turm, une tour de bois édifiée il y a quelques années sur l’un des parkings de la ville pour les besoins d’Höhenrausch, on a inséré une grue qui s’élève à 70 mètres au dessus des toits et fait comme un quatrième mât à ce vaisseau d’aluminium. Il fait escale à Linz jusqu’au 24 octobre 2018 et partira ensuite vers une autre rive. Mais rien n’exprime mieux le nomadisme propre à l’âme russe de Ponomarev que cette halte dans le ciel autrichien.

[i] Rétroaction (Feedback), Centre d’Art contemporain de Winzavod, 3ème Biennale d’Art contemporain de Moscou, 2009

[ii] Le Hollandais volant, Festival Artkliazma, région moscovite, 2004

[iii] Agravitation, Projet Higher Atlas, 4ème Biennale internationale de Marrakech, 2012..

[iv] Voir ici même Le Costa Concordia d’Alexandre Ponomarev jette l’ancre dans le désert d’Agafay, T0p0graphies, février 2014

[v] Höhenrausch, du 24 mai au 14 octobre 2018, Linz.

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