top of page

Première Biennale internationale de l’Antarctique : large succès auprès des pingouins.

  • pierre-andré dupire
  • 9 avr. 2017
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 2 déc. 2019

Marrakech, 9 avril 2017

Le succès était au rendez-vous de la première Biennale de l’Antarctique, lancée le 17 Mars dernier. Sous le patronage de l’UNESCO, cette expédition originale a permis durant 12 jours à une centaine d’intellectuels venus du monde entier de présenter leur travail aux équipes internationales qui vivent et travaillent dans les bases scientifiques polaires.


Experts, philosophes, écrivains, chercheurs, artistes et architectes se sont ainsi retrouvés sur les rives du continent Antarctique devenues l’espace d’un moment lieu d’installations artistiques mais aussi, mais surtout, espace d’échanges culturels et scientifiques.


Voilà 10 ans que l’artiste russe Alexandre Ponomarev préparait ce projet qu’il a présenté en 2014 lors de la Biennale architecturale de Venise dans le cadre du Pavillon de l’Antarctique[1] dont il fut le commissaire. Ce Pavillon était une sorte de plateforme de préparation pour l’expédition projetée qui d’emblée se donnait pour objet de croiser les regards artistiques et scientifiques. Dans une Biennale dont la ligne éditoriale avait reposé jusqu’alors sur la présentation de pavillons strictement nationaux, ce projet imposait une ligne transnationale inhabituelle. Il est vrai qu’Alexandre Ponomarev s’est inscrit dès ses débuts dans cette lignée d’artistes du Land Art qui ne cessent de questionner les notions de territoire, de limites et de frontières[2].


Pour sa première intervention de grande ampleur, Maya, l’île perdue[3], il avait bénéficié de la complicité d’officiers de la marine nationale russe. Des fumigènes lancés depuis leurs croiseurs avaient masqué tout un territoire de la mer de Barents que l’artiste avait auparavant soigneusement effacé de la carte nautique. Pour un moment, les frontières avaient été déplacées. C’était souligner l’écart existant entre le système d’informations que constitue la carte et la réalité matérielle qu’elle est censée représentée mais en inversant la proposition puisque c’était le monde réel qui enregistrait les modifications symboliques opérées sur la carte.


Pour l’écrivain Peter Lamborn Wilson, dit Hakim Bey[4], les cartes géographiques sont dorénavant fermées. Leur exhaustivité est totale et elles n’ignorent aucun endroit du globe. Il n’est nulle parcelle terrestre qui ne soit propriété d’un état-nation[5], nulle zone maritime qui n’ait été recensée. Leurs délimitations peuvent donner lieu à des contestations mais les cartes matérialisent une situation globale relativement stable. En même temps qu’un outil de navigation, elles représentent donc abstraitement le partage du monde. Faire de Maya une île perdue, c’était la soustraire à cette logique mondialisée, en faire une terra incognita dérobée aux empires, déterritorialisée, momentanément préservée de tout enjeu, une île de nulle part, une utopie.


Cette importance donnée au repérage cartographique témoigne de la dimension conceptuelle de l’approche artistique de Ponomarev. Il n’y a rien de naturel dans la manière dont nous percevons les choses. Nous sommes influencés par nos systèmes de représentations, nos normes culturelles. Mais la carte n’est pas le territoire. C’est ce que le land art et le conceptualisme se sont employés à montrer en critiquant les institutions muséales longtemps seules à déterminer les critères à l’aune desquels il convenait de juger ce qu’était l’art, et en engageant une large réflexion sur le langage et ses usages.


Quel monde peut aujourd’hui accueillir l’artiste ? En dehors des circuits officiels de l’Art, quelques territoires sont susceptibles de préserver la démarche du créateur ? Lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro de 1992, l’artiste latino-américain Guillermo Gomez-Pefia avaient ainsi formulé ces interrogations  : “Artistes et écrivains sont actuellement engagés dans une redéfinition de la topographie de notre continent. On imagine une carte sans frontières, ou une carte la tête en bas, ou une carte sur laquelle les frontières seraient organiquement dessinées par la géographie, la culture et l’immigration et non par la main capricieuse de la domination économique.[6]


Le statut du continent antarctique reflète parfaitement cet engagement politique. Il a jusqu’à présent échappé à toute logique d’annexion territoriale. Aucun pays ne peut y revendiquer sa souveraineté. Les activités militaires y sont interdites ainsi que toute exploitation des ressources minérales qui ne serait pas menée à des fins scientifiques. Plus de 4000 chercheurs de nationalité diverses y travaillent. Un tourisme de plus en plus important mais très contrôlé s’y développe. L’Antarctique démontre ainsi que la volonté des Nations ou de certaines institutions peut modifier le monde.


Mais les traités sont une chose. Construire le monde en est une autre. Les artistes et les chercheurs invités à partager la vie à bord du navire de recherche scientifique russe Akademik Sergey Vavilov étaient conviés à réfléchir aux relations entre l’homme et le continent, à imaginer une nouvelle patrie, à rêver à l’Antarctique de demain. A partir de quelques principes de base : supranationalité, interdisciplinarité et durabilité (le concept de mobilité étant l’une des clés du travail d’Alexandre Ponomarev dont les installations sont conçues pour ne pas laisser de traces autres qu’enregistrées.


Allons vers de nouvelles rives de l'art,

Où les seuls spectateurs seront les pingouins, les oiseaux, les poissons.

Purifions nos poumons de l'air vicié des galeries et des musées,

Rinçons nos yeux,

Et sur ce continent de neige immaculée,

Comme sur une feuille blanche,

Esquissons l'art de demain.

(Alexander Ponomarev)

Il fallait Ponomarev qui fut longtemps sous-marinier et s’y connait en esprit d’équipe pour savoir ce qu’il peut ressortir d’un confinement de moines en situation extrême. Réunissez des hommes, agitez-les, il sortira bien quelque “antarctopie” de cette communauté de destins.


Membre de l’expédition, Alexander Kupriyanovich Sekackii, écrivain, philosophe et professeur associé à l’Université d’Etat de Saint-Pétersbourg, a indiqué que les pingouins avaient constitué un public assidu auquel il avait apprécié de pouvoir partager l’idée de contemplation sans laquelle il est vain d’espérer trouver un langage commun avec la nature. Mais évidemment, le principal public des conférences était constitué des équipes scientifiques présentes dans les bases de recherche polaire. Nulle part ailleurs qu’ici, il n’est possible de surveiller les tempêtes géomagnétiques qui affectent la santé humaine, le changement climatique et l’avenir de la planète. A l’heure où de chaque côté des frontières se massent les troupes armées et où la nationalité s’affirme comme un principe gouvernant le monde, rêver en ces lieux d’un monde qui en soit affranchi, d’un monde qui préserve les conditions de survie de l’art, est peut-être utopique mais porteur d’espérance.


Allez, Capitaine, mon Capitaine, il est temps, levons l’ancre. [7] Il est un cap quelque part et qui s’appelle La Bonne Espérance.

[1] Pavillon de l’Antarctique, Fondation Marcello, 1 4ème Biennale d’Architecture de Venise, 2014.

[2] Dès 1969, avec Gallery Transplant, l’artiste, Denis Oppenheim fait reporter le plan d’une salle du Stedelijk Museum d’Amsterdam dans le New Jersey, sur une surface de neige, de boue et de gravier.

[3] Maya, l’île perdue, Action en collaboration avec la flotte du Nord de la Marine russe, mer de Barents, 2000.

[4] Hakim Bey, TAZ, zone autonome temporaire, Editions de l’Eclat, 1997.

[5] A l’exception de l’Antarctique, précisément.

[6] Cité dans Installations, 2 : L’empire des sens, Nicolas De Oliveira, Nicola Oxley, Michael Petry. Thames et Hudson, 2004.

[7] 0 Captain! My Captain, poème de Watt Whitman, composé à la mémoire d’Abraham Lincoln, 1865.


17505314_606879622851684_1481325533664095211_o
17622125_606879632851683_2427322905583537799_o
the-ship-2
17622065_606879726185007_2403181351728659131_o
17632075_606879366185043_1280044353665491121_o
542932_606878666185113_298821868207940616_n
17632031_606879802851666_8936400658933326338_o
17554114_606878696185110_5239779852576375692_n

NARODIZKIY4785
NARODIZKIY4774
NARODIZKIY4470
NARODIZKIY3339
NARODIZKIY4590
NARODIZKIY4907
NARODIZKIY5091
NARODIZKIY5111
NARODIZKIY4285
NARODIZKIY3383
NARODIZKIY3980
NARODIZKIY3191
17637068_606879819518331_1051215466960825454_o
17634550_606878766185103_8764949528284423217_n
17635242_606879436185036_2447487661076000376_o
17434530_606879936184986_8313089820414700092_o
pono6

Commentaires


bottom of page