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Imzough : la cordée humanitaire / Haut Atlas, Maroc

  • pierre-andré dupire
  • 22 déc. 2016
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 2 déc. 2019

Marrakech, 19 décembre 2016

On dit qu’il faut goûter de tout, que c’est la seule façon de pouvoir décider de ce qu’on aime. Encore faut-il avoir le choix. Dans les vallées reculées de l’Atlas, on n’en a guère et le psalmiste se trompait en affirmant : Il y aura abondance de grain sur la terre ; sur le sommet des montagnes, ce sera la profusion.[i]


Sur les terrasses étagées des coteaux de la vallée d’Oussertek, dans le Haut Atlas marocain, le blé pousse bien mais insuffisamment, les pommes sont délicieuses mais le pommier avare. On mange peu de viande et on manque donc de protides d’origine animale. Heureusement, il y a les noix qu’on nomme ici guarguaâ. C’est au nombre de noyers qu’on mesure la richesse d’un homme. La noix est riche en lipides et elle apporte d’indispensables éléments nutritifs. On en tire le brou qui teinte le bois ou le tissu et le messouak qui blanchit les dents. Mais tout le monde n’a pas la chance de posséder des noyers.


Reste la terre. Elle y est abondante. C’est une aubaine. On se dit qu’elle doit être bien bonne puisque les légumes y poussent et que les vers de terre y habitent. Comme on a faim, qu’on peut en en manger un peu et en garder pour le lendemain, les enfants en abusent. On a donné les jolis noms de géophagie à cette habitude et de PICA à celle, plus large, qui consiste à consommer de manière compulsive des substance non comestibles. Non comestibles, cela n’est pas si évident. Il y a ainsi des pays où l’on sait de belles et bonnes recettes culinaires pour accommoder la terre. Associée avec certains tubercules, l’argile atténuerait leur amertume et préviendrait les maux d’estomac. Chez les Indiens d’Amérique du Nord et les Afro-Américains, les femmes en particulier en consomment durant leur grossesse sans qu’on sache réellement l’expliquer.


Mais si la terre renferme quelques bienfaits, elle a surtout de nombreux effets délétères. En consommer peut induire des infections par des parasites, des constipations et des anémies par manque de fer (le fer étant séquestré par l’argile dans l’intestin).  Ainsi, dans le Haut-Atlas où les berbères sont fiers et simples et où l’on mange la terre telle qu’on la trouve, quand les mères regardent comment leurs enfants ont poussé depuis la dernière pluie, elles leur trouvent le teint un peu terreux.


On aura compris que ce n’est pas parce que leur goût n’est pas encore formé que les enfants s’adonnent à ces prélèvements géologiques. C’est parce qu’ils ont faim et que si la nourriture ne manque pas au Maroc, il est parfois difficile de la rencontrer, notamment dans la vallée d’Oussertek. Profondément enclavée dans le Haut Atlas, celle-ci vit en autarcie. Depuis Marrakech, il faut soit monter jusqu’au plateau de l’Oukaïmeden, situé à 80 km au sud, puis emprunter en 4X4 une piste qui mène à travers la montagne au village d’Imzough; soit aller jusqu’à Asni situé à 50 km au sud-ouest d’où l’on rejoint la vallée à pied après trois heures de marche. C’est le temps qu’il faut aux habitants de la vallée pour se rendre au souk du samedi matin à Asni où on peut se ravitailler, confier ses molaires à l’arracheur de dents (le vrai, celui qui ne ment pas et vous regarde droit dans la bouche quand il y plonge sans ménagements sa paire de tenailles), se rendre au dépôt de médicaments ou aller faire la queue au petit dispensaire qui affiche toujours complet.


C’est dire qu’il est aussi difficile d’accéder aux soins qu’à la nourriture. Ainsi, même si l’air est sain et que la population de la vallée n’a guère de vices de forme ou de fabrication, l’absence de soins et le manque d’hygiène et d’asepsie suffisent à provoquer l’infection de simples blessures. De nombreux enfants souffrent d’anémies, de parasitoses, de retard de croissance, ou présentent des goitres liés à l’absence d’iode dans le sel local et au coût trop élevé du sel enrichi. Les adultes, qui partagent avec les mules leur fardeau de bois de chauffage présentent de sévères douleurs dorsales ou articulaires et du diabète. Les femmes, qui gèrent les activités domestiques et sans lesquelles ce serait le chaos, rechignent à quitter la maison pour se faire soigner. Avec les enfants, elles sont les premières victimes du manque d’accès aux soins. On déplore deux à trois décès de mères en couche par an et le taux de mortalité infantile est ici plus élevé que dans le reste du Maroc où il est de plus de 40 pour mille alors qu’il est 10 fois moindre en France.


5 villages jalonnent la vallée : Agadir, Gliz, Imzough à 2200 mètres d’altitude, Tidli et Tinrouar. Ils rassemblent 3000 habitants qui, lassés de payer un tel tribut en devant attendre le samedi pour les urgences médicales, se sont unis pour tenter de désenclaver leurs villages. Ils ont eux-mêmes créé une piste carrossable. Depuis, toutes les maisons disposent de l’eau courante et de l’électricité. Une association s’est formée, Ahouach[ii], dans le but de construire et d’équiper un Centre de soins dans le village d’Imzough. Pour cela, il a fallu les efforts conjugués d’un natif du pays, Houssain Idali, qui avait longtemps travaillé comme infirmier en France avant de décider de revenir vivre dans la vallée, d’un kinésithérapeute lillois, Mohammed Hammani qui a dessiné le projet de dispensaire, et d’une journaliste française, Isabelle Démener, venue séjourner dans la vallée pour y escalader le mont Toubkal avant de décider de s’attaquer à un sommet plus imposant : l’administration.  A travers Ahouach, ils ont pu sensibiliser diverses institutions et récolter les fonds nécessaires à la construction d’un dispensaire qui dispose de plusieurs salles d’examen en rez-de-chaussée, et de locaux d’habitation à l’étage.


Depuis 2009, l’ONG Pédiatres du Monde envoie chaque année une à deux missions à Imzough. Elles y sont acheminées en 4×4. Leurs membres sont logés chez l’habitant. Les consultations ont lieu au dispensaire et dans l’école d’un des autres villages. Pour se rendre dans les plus éloignés de ceux-ci, on charge le matériel médical sur des mules. De 200 à 400 enfants et presque autant d’adultes sont ainsi examinés chaque année. Les pathologies infectieuses courantes peuvent être traitées, les affections chroniques exigeant une prise en charge spécialisée sont dépistées. Un recensement de la population a eu lieu qui permet un meilleur suivi pédiatrique des enfants. Une nette amélioration clinique des populations a pu ainsi être constatée au fil du temps même si, comparé avec le reste du Maroc et les normes de l’OMS, il reste un retard important dans le rapport entre la taille et l’âge des enfants. C’est qu’un problème alimentaire subsiste dans la vallée, lié sans doute au défaut d’apport en protéines animales.


Il reste bien sûr de nombreux problèmes à régler. Il n’y a pas encore de poste d’infirmière ou d’infirmier dédié au dispensaire. Les enfants sont souvent examinés sans leurs parents absorbés par d’autres tâches. Les efforts de prévention restent donc insuffisants, notamment en ce qui concerne la nutrition. Le suivi des futures mères et la prise en charge des nourrissons est malaisé. Par ailleurs c’est l’institutrice qui traduit les échanges entre médecins et villageois qui ne parlent que le berbère. Il faudrait plus de traducteurs.


Mais en facilitant leur accès aux soins, ce projet a changé l’existence des villageois. Quand il prend du recul, là-haut, à l’Oukeimeden où il a sa maison et où il vit maintenant en tant que guide de haute montagne, Hussain peut penser au travail accompli et au dispensaire qui dort en attendant la prochaine visite des médecins de Pédiatres du monde qui étancheront la soif de soins des habitants de la vallée d’Issertek. Il suffit à ceux-ci d’attendre, en se cachant pudiquement pour avoir faim à leur aise.[iii]

[i]  Psaumes, chapitre 72 – verset 16

[ii]  www.ahouach-association.fr

[iii]  Cf. Mouloud Feraoun, La Terre et le Sang, Paris, Editions du Seuil, coll. Points. ” Il y a sûrement beaucoup de honte à être heureux, non pas à la vue de certaines misères mais lorsque le bonheur semble narguer. Ce défaut, les Kabyles ne l’ont pas. Par pudeur, le riche se cache pour bien manger et le pauvre pour avoir faim à son aise.”

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