Jean-François Fourtou ou l’Eden absolu
- pierre-andré dupire
- 15 mars 2015
- 4 min de lecture
Marrakech, avril 2010-novembre 2011
S’il y a un paradis sur terre, il est à Dar Sadaka, demeure de l’artiste Jean-François Fourtou, au cœur de la palmeraie de Marrakech.
Le jardin met en relation l’habitation avec l’extérieur et les dépendances. Un chemin y sinue qui en relie les diverses parties dont on ne sait trop si, comme dans les jardins zen, elles représentent des étapes symboliques qu’il convient de franchir les unes après les autres et dans un ordre précis pour parvenir à l’illumination et à la sérénité, ou si elles ne reflètent que le cheminement personnel de l’artiste.
A aucun moment, même des hauteurs des terrasses, on n’en peut contempler l’ensemble. On doit donc marcher, s’aventurer, traverser un labyrinthe d’oliviers, une forêt de bambous, une jungle de graminées, et puis s’émerveiller.
Des pauses sont aménagées autour d’installations diverses : la maison du géant, celle du nain, la maison à l’envers… Ces espaces évoquent les folies, ces fabriques qu’on édifiait autrefois dans les parcs pour y exciter l’imagination.
Le jardin tient ainsi d’un cabinet de curiosités aux dimensions élargies. A chaque étape de son parcours, le visiteur, le pèlerin pourrait-on dire tant on a le sentiment de tourner autour d’un lieu sacré dont on approche peu à peu par graduations dans l’insolite, le pèlerin, donc, croise des mondes divers. Son cheminement botanique lui permet d’arriver jusqu’à l’atelier, le naos, le Saint des Saints. Tortues, oies, volatiles divers y naissent en différents formats. Encore inachevées, les sculptures attendent d’être peintes. On devine en les contemplant que l’œuvre de l’artiste est marquée par l’idée de série. L’atelier est une célébration de la série. Il s’y déploie une prolifération débridée quoique savamment maîtrisée.
Dans la demeure, au-delà de quelques grands espaces d’accueil, tout n’est que passages secrets, labyrinthes, tiroirs à double-fonds, cachettes dans les murs. Le visiteur trop indiscret s’égarerait si nul ne venait le guider. On redoute qu’un jour, un des subtils mécanismes qu’il a conçus ne se bloque et ne nous laisse captif du noir.
Au fond, Jean-François Fourtou paraît chercher le passage vers l’âge adulte et remercier chaque jour son créateur de ne pas le lui révéler, attaché avant tout à préserver les souvenirs de son enfance du temps qui passe. Comme l’escargot ou la tortue, il promène avec lui sa maison. Ses maisons, devrait-on dire puisqu’il y a la sienne qui lui sert de refuge, celle de sa grand-mère qui l’a inspiré pour la première de ses reconstitutions, puis celle de son grand-père et celle enfin de ses parents qu’il s’apprête à construire à proximité de la sienne.
La réalisation de ces espaces est minutieuse. Le soin porté aux détails pousse à se demander quels scrupules dictent les gestes de l’artiste, quelle loyauté, quelle nécessité. Ici, le calcul se mêle au rêve et la raison du mathématicien vient chapeauter celle du poète. L’artiste avait un grand père professeur de mathématiques et il semble en avoir retenu quelques leçons. Pourtant, malgré l’évidence presque naturelle de ces lieux et leur intime familiarité, leurs proportions inhabituelles font vaciller notre raison.
Disproportionnés, les objets nous sollicitent et voudraient nous convaincre de l’exactitude de leur échelle. Mais on ne sait plus trop ce qui se passe en nous. Entré dans la maison du géant, j’aperçois un objet dépassant du bord de la table trop haute pour que je puisse l’identifier. J’en saisis l’extrémité en levant mon bras. Dans ma main à présent, un canif immense. Est-ce encore un canif ? Quel ancêtre immense l’a laissé là ? A quelles fins ? On ne sait plus qu’esquisser quelques sourires. Et c’est tant mieux que le silence s’empare de nous car on commence ainsi de sentir la puissance de l’art.
Sous le dehors insolite, amusant, provocateur, ce jardin utopique, conjonction de plans inédits et d’agencements incongrus, nous engage dans d’inédites aventures. Nous marchons et nous commençons de penser tout en continuant de rêver. Le muscle est sollicité autant que l’esprit. L’artiste excite l’imagination en soumettant le corps à d’étranges contorsions. Un paradis ? Sans doute, mais qui exige de l’entraînement.
L’artiste est un phare, disait Baudelaire que Jean-François Fourtou parait ne pas entendre. Il prend d’abord bien soin de nous emmener dans l’obscurité, et lorsqu’il remet la lumière, nos yeux ont du mal à s’habituer aux métamorphoses qu’il a fait subir au paysage.
Il y a du démiurge en cet homme. Ce qu’il créa le premier jour, qui peut le dire ? Mais le jardin qui résulte de ses efforts, ce condensé de ses jours et de ses nuits, de son enfance, fait comprendre que l’homme Fourtou n’a pas été chassé du Paradis, qu’il entend même y rester mais en contrôler les entrées et les sorties. Un Bienheureux vigilant !
Dans l’univers enchanté qu’il a créé, l’homme Fourtou est un général au bivouac. Dans le silence de la palmeraie, ses armées animales, tortues, primates, escargots à présent, semblent veiller sur le campement. Demain, elles partiront à l’assaut des cimaises.
Comme l’empereur Qin Shi Huang Di qui s’était fait enterrer accompagné d’une armée factice immortelle, Jean-François Fourtou s’entoure de régiments hétéroclites. Tel un monarque oriental, il impose des exercices subtils aux hôtes de son campement. Ceux de la future maison-ruche qu’il est en voie de réaliser auront droit à une épreuve raffinée. Pour satisfaire leurs besoins naturels, ils s’installeront dans une centrifugeuse musicale où une petite mélodie mozartienne entraînera leur péristaltisme. Quelle issue trouveront-ils après ce traitement ? Mystère et boule de gomme !
Dar Sadaka, on le voit, n’est un havre de paix qu’à mesure des moyens mis à la défendre. Dans les hautes herbes, les chevaux veillent, les singes observent, les oies scrutent, les escargots dardent leurs antennes. Tous savent qu’ils participent d’un vaste projet, celui de faire triompher l’Enfance.
Quand je regarde la chèvre qui prend son bain de soleil au bord de la piscine, quand des chevaux de contes fantastiques émergent des hautes herbes, me revient ce mot de Gauguin : “Quant à moi, j’ai reculé dans mon enfance jusqu’à mon dada.”
Pierre-André Dupire



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