La Cité radieuse / Marseille
- pierre-andré dupire
- 21 juin 2015
- 2 min de lecture
Marseille, 19 juin 2015
Je viens peu souvent à Marseille où le vent a ses habitudes. A chaque fois, le mistral courrait dans les rues. Je doute qu’on puisse ici faire autre chose que tenter de pactiser avec lui. C’est un combat bien inégal.
Ce soir, nous étions nombreux sur le toit-terrasse de la Cité radieuse, cette immense résidence construite par Le Corbusier. Compositeur installé à Marseille, Philippe Festou y créait son premier opéra : Ty Quan sur un livret de Géraldine Paoli.
La costumière coréenne avait habillé d’étoiles les participants de la cérémonie. Des diodes lumineuses dessinaient sur leur poitrine un lacis qui reflétait celui qu’on voyait au ciel. Ce soir là, vers l’ouest, le croissant de lune s’alignait avec Jupiter et Vénus qui étaient particulièrement brillantes. Il y avait dans cet écho quelque chose d’une complicité bienveillante.
Rien de tel dans ce qui opposa le vent et les acteurs. A terre, je veux dire au pied de l’immeuble, au début de la soirée, on eût cru le mistral assagi. Mais au 9ème étage, sur le pont de ce paquebot qu’est la Cité radieuse, nous autres, passagers aux oreilles tendues comme des voiles, nous avions bien du mal à comprendre notre équipage. Le vent ne faisait qu’exacerber les malentendus.
Délicate, la musique exigeait le recueillement et le livret, le silence. Ce fut la tempête et ce fût le naufrage. Au pied des pupitres, les tourneurs de pages s’escrimaient pour empêcher les partitions de s’envoler. On avait prévu des projections lumineuses sur la grande cheminée et les murs du toit-terrasse. Sous les rafales, les vidéo-projecteurs semblaient avoir le hoquet. Les musiciens tendaient l’oreille pour s’entendre mais le vent froissait bruyamment l’étoffe des costumes de la comédienne et de la chanteuse. Peut-être étaient-elles celles qui avaient le moins à se plaindre du froid qui commençait de poindre. L’une et l’autre s’évertuaient en effet à dialoguer avec le vent. Mais peut-on discuter avec un tel inconstant ? Les murmures de leurs voix se perdaient dans les souffles d’Éole.
Ce soir-là, nul n’était ce qu’il s’était promis d’être. Tous, musiciens, chanteuse, comédienne, spectateurs, n’étaient plus que des marins égarés dans un océan déchaîné.
La troupe tint bon quand même. Mais au score : mistral gagnant. A l’issue de la représentation, alors que nous nous apprêtions à quitter les lieux, nous entendîmes venant de la partie sud du toit terrasse le son d’une valse viennoise. Une fête avait lieu qui réunissait d’autres habitants de l’immeuble. Le vent soufflait dans leur direction. Nous n’avions jusque là rien entendu de la musique diffusée par les haut-parleurs. On dansait sous les étoiles. Il me sembla que nous quittions le Titanic, dont un des ponts, la nuit du naufrage, abritait un orchestre qui continuait de jouer pour quelques passagers qui avaient décidé d’ignorer que le navire sombrait.
Pierre-André Dupire



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