La Pasion del Cristo / Comitan de Dominguez / Chiapas
- pierre-andré dupire
- 15 mars 2015
- 2 min de lecture
Comitan de Dominguez, 18 avril 2014
Le curé d’Ars fut une des grandes figures de l’église au siècle dernier. Ma grand mère lui vouait un culte idolâtre. Il confiait à ses ouailles que le diable avait détruit l’échelle qui nous reliait au ciel et que par sa Passion, le Christ l’avait réparée. Il ajoutait que la Vierge Marie se tenait à son sommet et en maintenait les montants. C’était là une image propre à toucher d’humbles fidèles auxquels il n’était pas aisé de faire saisir les mystères de l’expiation substitutive.
À Comitan de Dominguez, le spectacle de “la pasión del Cristo” eût permis à ces simples gens de tout comprendre mais nous eût aussi privés de la belle image du curé. Or il est bon que les fidèles méditent longuement les sermons qui leur sont faits plutôt que de quitter l’église avec le sentiment du savoir accompli.
Chaque année, pour la “semana santa”, un habitant de Comitan se propose de porter les péchés du monde. Celui de cette année faisait un Jésus assez convaincant. Autour de lui, pour l’aider à réparer l’échelle, Caïphe, le Sanhédrin, Pilate, les légionnaires romains, le peuple vindicatif.
Les scènes s’enchaînent sous un kiosque à musique, sur la place de l’église. On y convoque, on y invective, on y flagelle, on s’y perd en arguments, Pilate cherche à comprendre mais Caïphe à déjà jugé et Pilate finit par se déboutonner.
C’est du kiosque que la procession part vers la croix. Le chemin est long et on nous a conseillé de prendre un taxi qui nous mène en dehors du centre de la ville. La foule est déjà assemblée. Les marchands du temple ont posé leurs étals de confiseries et de produits d’importation chinois. Un terrain de football à été aménagé pour l’occasion. Les rochers qui le cernent ont été repeints en blanc. On a fait d’une butte surplombant l’une des zones de pénalty le Golgotha. C’est la surface de réparation de l’échelle.
Les condamnés arrivent, Jésus en tête, portant la croix et trébuchant. Il a marché pieds nus jusqu’ici avec les larrons à ses basques mais il est le seul sur lequel on s’acharne. Les lanières cinglent l’air. Les spectateurs tressaillent à chaque claquement du fouet sur sa tunique de coton. Quelle faute a-t-il voulu ainsi expier ? Quel vœu soutient sa fermeté ? Il avance avec difficultés mais c’est à peine si une grimace de douleur déforme parfois son visage.
Il est bouleversant, ce drame de l’homme en quête d’amour et de pardon, traînant sa croix parmi la foule hostile, et lançant enfin à la face de Dieu : “Mi Padre, por qué me abandonaste me”?
Il semble étrangement déplacé, ce Rêve d’Amour de Frantz Listz qui sort des hauts parleurs semés autour du terrain pour accompagner le Christ jusqu’au tombeau qu’on a aménagé dans un petit abris à poubelles dont on ressort, une fois la musique éteinte, le pénitent épuisé qu’on soutient maintenant avec précautions.
Oui, les fidèles du curé d’Ars se seraient souvenus des plaies sacrées. Peut-être même en auraient -ils pleuré. Et “une seule larme sur la passion du Christ vaut plus qu’un pèlerinage à Jérusalem et qu’une année de jeûne au pain et à l’eau”.
Pierre-André Dupire



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