Oh, la vache!
- pierre-andré dupire
- 12 févr. 2018
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 déc. 2019
Igatpuri, Maharashtra, 12 février 2018
Les néerlandais s’émeuvent du sort d’Hermien, une vache échappée du convoi fatal qui l‘amenait à l’abattoir. Réfugiée dans les bois, elle n’en sort que la nuit pour aller clandestinement se nourrir dans les étables voisines. Les réseaux sociaux ont relayé le fait divers, et la campagne de financement participatif lancée par le Parti pour les animaux pour offrir à Hermien une paisible retraite anticipée dans un refuge pour bovidés bat son plein.
Les contributeurs pourraient aussi bien lui offrir un voyage en Inde où la vache est partout chez elle. Dans la rue où elle croise impassiblement passants, motos et rickshaws, sur les marches des escaliers menant les pèlerins jusqu’aux rives des lacs sacrés, devant les échoppes des marchands où il faut lui disputer le légume qu’on s’apprêtait à acheter sur le terre-plein qui sépare les voies des autoroutes et dont elle peut surgir à tout moment. Gare a qui n’y prendrait pas garde !
Nul instinct grégaire chez la vache indienne. Elle n’a pas ce caractère moutonnier qu’affiche la vache occidentale mais assume dans la solitude le poids des responsabilités dont elle est investie. Elle paraît d’ailleurs moins un animal domestique qu’un dieu lare qui promènerait avec lui son autel avec sérénité au milieu du trafic incessant des touk-touk et des voitures.
C’est que la vache contribue largement au bien-être des indiens auxquels elle fournit cinq produits essentiels : le lait, le caillé, le beurre liquéfié ou ghee, la bouse et l’urine.
Le lait est utilisé dans les rituels sacrés de purification. On en lave les statues des divinités. Comme le caillé, il entre aussi dans la composition de nombreuses préparations culinaires.
Mélangée à la paille, la bouse sert aussi bien au chauffage qu’à la construction des maisons en milieu rural où elle est censée protéger des insectes et des parasites. On la fait sécher en galettes sur les toits puis additionnée de cristaux de sel, elle vient garnir la dernière couche des bûchers qui accueilleront le corps des défunts préparés pour la crémation.
Quant a l’urine qui purifie aussi bien les souillures extérieures qu’intérieures, on la recueillait autrefois pour la boire ou se laver le visage et la tête. L’habitude ne semble pas avoir disparue. Aujourd’hui, elle est réputée comme ayant des effets thérapeutiques sur les maladies du foie et les déficiences immunitaires et j’ai relevé dans le Times of India un entrefilet signalant que son utilisation dans la composition des médicaments ayurvédiques venait d’être autorisée par le ministère de la Santé.
En associant l’urine de la vache aux quatre autres substances qu’on tire d’elle et en laissant le tout fermenter comme il convient, on obtient le pancha-gavya, panacée presque universelle qu’on utilise le plus communément comme fertilisant et pesticide, dans le traitement des semences et celui des rhizomes de gingembre, de safran et de canne a sucre. Aux cœurs qui se révulseraient à l’idée d’une telle pratique, rappelons que le fumier est largement utilisé comme engrais naturel dans nos contrées occidentales. Mais les partisans du pancha-gavya prétendent aussi qu’il augmente la croissance du plancton destiné à nourrir les poissons dans les fermes piscicoles, la production de lait chez les vaches, le poids des porcs et la capacité de ponte des poules. Enfin, le pancha-gavya traiterait aussi certains cancers et il est aussi parfois utilisé comme base de préparation dans les produits cosmétiques. Là encore, que le lecteur qui pourrait avoir des nausées sache que les geishas japonaises utilisaient traditionnellement la fiente de rossignol pour traiter leur peau, et que cette recette qu’on a récemment commercialisée aux États-Unis a séduit Tom Cruise ou Victoria Beckham.
Pourtant, les scientifiques n’ont guère décelé de bénéfices à l’utilisation du pancha-gavya. Au contraire, ils ont montré que c’était un dangereux vecteur de transmission bactérienne, qu’il pouvait causer des maladies infectieuses, notamment la leptospirose, et provoquer de nombreux effets indésirables incluant la convulsions, les troubles respiratoires, voire la mort. Mais en Inde, celle-ci n’est jamais que le moyen le plus rapide d’accéder a une vie meilleure et peut-être est-ce là ce qui fait la popularité du pancha-gavya.
En tous cas, alors qu’on souligne souvent la propension des indiens à créer d’interminables catégories en multipliant classes et sous-classes, on peut observer qu’en ce qui concerne la vache, ils se montrent bien en dessous de la capacité typologique des bouchers français. Qu’on en juge : c’est en 33 morceaux de boucherie que ces derniers divisent la vache quand les indiens n’en tirent que cinq éléments substantiels. Voila un sens du raccourci inhabituel en ce pays.
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