Petsmart : Le Paradis des bêtes
- pierre-andré dupire
- 15 sept. 2016
- 6 min de lecture
Palm Beach Gardens, 12 septembre 2016
Le peintre Eugène Delacroix disait : “L’homme est un animal sociable détestant ses semblables.” Sans doute songeait-il à celui-ci qui préfère la compagnie de son chien à celle de son voisin de palier. Sa bête lui parait douée de plus d’humanité. Elle lui semble aussi plus loyale. Comment blâmer cet humaniste déçu ? La compagnie des bêtes lui rend plus supportable la solitude; elle fait baisser sa pression artérielle; elle augmenterait ses chances de rémission s’il était victime d’un accident cardiaque. La science n’a pas encore expliqué ces bienfaits et peu importe. Tout montre aujourd’hui combien l’homme aime s’entourer d’animaux. En France, en 2010, on estimait le nombre de ces derniers à 59 millions. Il faut ranger dans ce total chiens, chats, petits mammifères, oiseaux et poissons. Près de la moitié des foyers possédaient alors au moins un animal de compagnie. Aux États-Unis, en 2006, environ 63 % des ménages (71,1 millions d’habitants) étaient propriétaires d’animaux familiers.
Le rôle des animaux de compagnie est ancien. Cléopâtre souffrait déjà beaucoup d’entendre dire autour d’elle : Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur son sein ? Aux siècles plus récents, on trouvait les “chiens de manchon”, ainsi appelés parce qu’il étaient d’une taille telle que les dames pouvaient les porter dans un fourreau où elles glissaient leurs mains pour les y réchauffer. On disait que c’était là leurs “animaux de tendresse.” Encore plus récemment, quand les enfants furent suffisamment bien dressés pour pouvoir garder seuls la maison, on s’avisa que les animaux pouvaient être pour eux des compagnons plus présents que leurs parents et surtout plus compréhensifs. Les chercheurs se penchèrent sur cette relation nouvelle. On montra que lorsqu’ils grandissaient entourés de chiens et de chats, les enfants comprenaient mieux les signaux de communication non verbale, non seulement ceux émanant de leurs animaux familiers mais aussi ceux émis par les êtres humains. Ainsi prit-on l’habitude de confier l’enfant à l’animal ou l’inverse. On appela à l’aide le cheval, le lapin, le chien ou le dauphin pour soigner les enfants autistes. Ceux qui n’ont eu en grandissant qu’un ours en peluche ignorent tout de ce qui peut se nouer ainsi avec l’animal. Mais Petsmart peut leur venir en aide.
Petsmart a bien compris le lien magique qui l’unit à l’homme. C’est la plus grande entreprise de services et de produits pour animaux de compagnies, secteur économique dont la valeur mondiale était estimée à 53 milliards d’euros en 2013. Petsmart emploie 53 000 collaborateurs et exploite en Amérique du Nord plus de 1440 magasins dont les ventes augmentent régulièrement. On y trouve une vaste gamme d’aliments, de produits, d’accessoires et des services variés allant du toilettage à la garde temporaire, du dressage (mieux vaut employer le terme d’éducation) aux service funéraires.
Pour qui n’est pas l’ami des bêtes, circuler dans les rayons d’un de ces magasins peut être déconcertant. Car s’il était autrefois confiné dans la cour de la ferme, le chien a accès aujourd’hui à toutes les pièces de la maison. C’est un membre de la famille. On fête son anniversaire. On lui offre en Floride le maillot de l’équipe des Dolphins de Miami et dans le Colorado, celui des Broncos de Denver. Hier matin, Buddy (1) m’est ainsi apparu revêtu de celui des Jets de New York. Son maître, sa maîtresse et leur nourrisson de quelques semaines arboraient les mêmes couleurs. Pour Halloween, ils pourront le teindre en orange ou en vert fluo et lui faire endosser les habits de Darth Vader, de la princesse Leïa ou de Chewbacca. Il accède déjà au lit de la chambre nuptiale par un petit escabeau particulier.
Bayley, chien distingué, préféra la niche. Il la choisira façon cottage de Cape Code, spacieuse, disposant d’une terrasse, de deux fenêtres fonctionnelles, d’une entrée privée menant à la chambre à coucher, de trois de ces lucarnes de toit qu’on appelle comme un fait exprès des “chiens assis”. Fabriquée par des menuisiers Amish de l’Ohio, ce n’est plus une niche, c’est une demeure propre à rendre le chien impatient de retrouver son chez-lui pour y fumer sa pipe et lire son journal en songeant qu’il partage le goût des élites bostoniennes ou new-yorkaises. “Homme, sweet homme”, pense alors la bête en remerciant son maître. Lecteur de Henry David Thoreau, amoureux de la nature, Max a opté pour le tepee indien, plus sobre, disponible en plusieurs taille, coton et structure en bois d’eucalyptus.
On voit par là que le statut du chien a bien changé. Hier encore, il ne jouait que les utilités. Il pistait le gibier, gardait le troupeau ou montait la garde en échange du couvert et d’un gîte souvent peu confortable. C’était le commensal de l’homme auquel 15 000 ans avaient été nécessaires pour en faire un animal domestique. Le chien brille aujourd’hui dans un rôle moins subalterne. Il lui suffit d’être présent et beau (qualité que le bouledogue s’attache à dire relative) pour pouvoir servir de miroir à ses maîtres et de cible à leurs projections anthropomorphes. Car si l’animal a beaucoup évolué depuis l’origine, l’homme, lui, n’a au fond guère changé depuis 15 000 ans. Il vouait alors un culte aux dieux à forme animale. Mais les dieux sont morts et il n’a subsisté que des formes animales un peu vides qu’on a remplies de sentiments humains. Anubis s’en est allé côté jardin et Médor est entré en scène côté cour.
Cette irruption de la bête sur le petit théâtre humain fait naître de grands débats. Où va l’acteur une fois la comédie terminée ? Le chien accède-t-il au Paradis ? Y trouve-t-il un os à ronger éternellement ou 50 jeunes chiennes nubiles ? Un sondage publié il y a peu par le magazine ABC News montrait en tous cas que 47 % des propriétaires d’animaux considéraient que leur animal de compagnie accéderait au Ciel. Cette conviction ne rassure pas tous les maîtres. Certains imaginent qu’il y a la-haut quelque section à part pour les bêtes et craignent de n’y pouvoir retrouver la leur sous l’œil approbateur des anges
Ce sont là des questions profondes. Les saintes écritures n’évoquent que le sort des hommes. La Bible ne dit pas si les animaux ont une âme et peuvent être rachetés (j’entends ailleurs que dans une animalerie). On dirait que Dieu a voulu laisser l’ami des bêtes dans l’obscurité. Les chrétiens débattent donc. Revues et blogs argumentent.
Have You a dog in Heaven, Lord ?
Is there room for just one more ?
Cause my little dog died today
and will be waiting at Your door. (2)
Pour les uns, le chien ne peut se reconnaître comme pêcheur et la Rédemption de ses fautes ne saurait donc constituer pour lui un ticket d’entrée au Paradis. Pour d’autres, ne pas savoir ce que pêcher veut dire, c’est être simple d’esprit. Or Dieu appelle à lui les simples d’esprits. En somme, on se dispute comme chien et chat quant à la destination des âmes canines.
Petsmart n’a pas jugé bon de s’immiscer dans le débat et se contente de proposer des solutions pour la destinée des corps. On peut ainsi y acheter la stèle commémorative pour marquer le lieu où on enterrera Bella, Lucy ou Charlie. Si l’on décide de les incinérer, on trouve en magasin des modèles d’urnes où garder leurs cendres. Les maîtres qui préfèrent embaumer leur animal pour pouvoir éventuellement être ultérieurement enterré avec lui doivent s’adresser au service local des pompes funèbres qui peut se charger de ce travail, ou à défaut au taxidermiste. Il reste une solution dans laquelle Petsmart ne s’est pas encore engagé : le clonage, seule manière de rendre éternel son compagnon à quatre pattes. C’est une pratique coréenne que la loi américaine n’interdit pas et ce pourrait bien être l’un des prochains services proposés aux amis des bêtes.
Que les chiens accèdent ou non au Paradis, tant d’amour de la part de leur maîtres devrait au moins garantir à ceux-ci de pouvoir y entrer. C’est la devise de Petsmart : “Les animaux rendent les hommes meilleurs.”
Pierre-André Dupire
(1) Les noms de chiens qui apparaissent ici sont parmi les plus employés aux États-Unis (enquête de Dogtime.com)
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