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Point Reyes National Seashore / Californie

  • pierre-andré dupire
  • 4 juin 2016
  • 3 min de lecture

San Francisco, 28 mai 2016

A quelques kilomètres au nord de San Francisco, battu par les vents, s’étend le Parc national de Point Reyes. On y accède par le boulevard Francis Drake qu’on emprunte après avoir quitté San Francisco par le Golden Bridge et qui se poursuit jusqu’au Light house, le phare situé à la point sud-ouest du parc. A l’image de la mesure (ou de la démesure américaine, selon le point de vue qu’on adopte) ce boulevard fait 48 miles de long et il faut plus d’une heure pour accéder au phare.

Francis Drake est ce corsaire anglais qu’on croyait vainqueur del ’invincible Armada espagnole. Les historiens disent aujourd’hui que celle-ci n’essuya que quelques escarmouches, suffisantes toutefois pour lui faire faire demi-tour. Mais il importait alors que la propagande masquât les conclusions très défavorables à l’Angleterre du traité qui mettait fait aux hostilités avec l’Espagne de Philippe II.

La propagande est de tous temps. Attachés à justifier leur possession de la Californie, les américains entretiennent eux-aussi le culte de Drake lequel, prétendent-ils, aborda la zone de Point Reyes le 17 juin 1579 et prit possession du territoire au nom de la reine Elizabeth en le proclamant Nouvelle Angleterre. L’emplacement exact de son débarquement a suscité d’innombrables débats pendant plus de quatre siècles. Le point avait d’autant plus d’importance qu’on a fait de Drake le premier européen à avoir mis le pied dans le nord de la Californie. Quelques galions espagnols, cabotant depuis Acapulco le long des côtes ou faisant la route vers Manille, avaient certainement croisé au large de cette zone dès le début du 16ème siècle. Certains avaient même du s’ancrer dans la baie qui porte aujourd’hui le nom du corsaire et qui s’aperçoit plus facilement que celle de San Francisco, qui comme on sait s’embrume et reste souvent masquée depuis la mer, ce qui explique qu’elle ne fut découverte qu’à la fin du XVIIIème siècle.

Quelques ruines de ranchs de cette époque ponctuent le boulevard qu’on suit pour aller au phare. Les paysages sont variés. On traverse d’abord le Jackson Park, planté de séquoias et d’eucalyptus magnifiques. Puis les collines s’effacent brusquement. C’est la faille de San Andrea, brutal décrochement à la jonction des plaques tectoniques du Pacifique et de l’Amérique. Il suffit de regarder la carte des lieux pour saisir les forces souterraines qui les façonnent. Étroit bras de mer, la Tomales Bay semble s’être ainsi peu à peu insinuée entre les plaques. Une longue bande de terrains effondrés la prolonge durant plusieurs dizaines de kilomètres jusqu’au sud du parc. Une fois passée la faille, on retrouve quelques reliefs à la végétation pauvre, plateaux d’élevage où l’on croise les ruines de quelques ranchs qui existaient là au XVIIIème siècle, des troupeaux de vaches, et des cerfs de Tule. Le paysage évoque alors les landes d’Irlande ou d’Écosse.

Enfin le boulevard Francis Drake se termine et l’on atteint Point Reyes Light House. On est alors au sommet des falaises où sont situés l’habitation des gardiens du phare et un bassin de retenue des eaux de pluie qui fournissait l’eau potable et alimentait les machines à vapeur destinées à émettre les signaux de brume. Il faut emprunter un étroit escalier de 308 marches, l’équivalent d’un immeuble de 30 étages, pour accéder au phare lui-même, situé en contrebas. Le vent souffle avec une force impressionnante. L’endroit est réputé comme le plus venteux de la côte Pacifique des USA avec un record enregistré à 190 km/h. Le brouillard y est si fréquent qu’on a dû construire le phare au pied des falaises pour que les navires puissent en voir les feux. Les naufrages ont toutefois été nombreux. C’est désolé. C’est magnifique. John Carpenter a utilisé les lieux pour certaines des scènes de son film Fog.

Tout le long de l’escalier, la face nord des rochers est couverte comme d’une peau qu’on pourrait prendre pour une mousse. C’est une algue qu’on appelle ici la violette des roches. Trentepohlia contient de la chlorophylle mais surtout de nombreux pigments rouges qui expliquent sa coloration rouge. Elle colonise les zones littorales humides et on la retrouve notamment le long des côtes bretonnes, tapissant la pierre exposée aux embruns ou les murs des maisons. Il m’aura fallu traverser tout le continent nord-américain et venir en ce lieu désolé de la côte Ouest des USA pour apercevoir enfin des peaux rouges.

Pierre-André Dupire

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