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San Juan Chamula / Chiapas

  • pierre-andré dupire
  • 15 mars 2015
  • 4 min de lecture

San Juan Chamula, 21 avril 2014

Au Chiapas, on vénère Jésus en langue Tzotzil. Ici, il s’appelle Hotkik, un peu plus loin, c’est Kajvaltik. Dans tous les cas, c’est un Jésus mâtiné d’influences amérindiennes, un Jésus qui multiplierait les galettes de maïs,les bananes et les noix de coco, un Jésus qui ferait apparaître des poulets. Après tout, les pierres des temples antiques ont  bien servi de fondations au premières églises. Quoi d’étonnant à ce que  la doctrine chrétienne se teinte de rites païens et que l’immaculée conception côtoie  le sacrifice de volailles.

L’église de San Juan Chamula est toute entière dédiée  à ce syncrétisme en même temps qu’à San Juan Bautista.

Elle est sombre. Le sol en est couvert d’un tapis d’aiguilles de pin. Depuis le centre du plafond de la nef pendent de longs rubans de satin brodés d’or dont on a accroché l’extrémité à la mi hauteur de chacun des murs latéraux. Cinq rangs de  guirlandes se succèdent ainsi de l’entrée de l’église jusqu’au chœur en V inversé.

Le long de chacun des murs latéraux s’alignent jusqu’au chœur une rangée de petites stalles aux montants de bois sobrement sculptés et aux parois de verre. Fleuries de tiges d’héliconias, ces cages font environ un mètre de côté et abritent des statues assez richement habillées. Une assez juste division sexuelle repartit les Saints et les Saintes : celles-ci à droite, ceux-là à gauche de la nef. Quelques intrus perturbent ce bel agencement : Jésus, Corazôn del Jésus, Jésus Minor et San Agustin se sont glissés parmi les Saintes. La présence de ce dernier au milieu des femmes témoigne peut-être de l’intérêt qu’il leur portait avant de découvrir Dieu. Seules Santa Marta et Santa Lucia fréquentent les hommes.

D’innombrables cierges brûlent sur des tables ou sur le sol où l’on a écarté la litière pour les y coller. Les pigeons volent dans la nef. Ils paraissent loger dans les combles. Les oiseaux sont toujours plus près de Dieu que les hommes auxquels il faut la prière pour s’élever au ciel.

Dans le chœur, aux pieds de la statue de San Juan, un couple d’indiens frappés par quelque décret cruel implore la miséricorde divine. La femme s’abîme dans une litanie psalmodiée d’une voix où vibre par moment une émotion forcée. L’homme s’adresse directement au saint comme à un vieil ami qu’on rabrouerait, appuyant ses arguments de gestes de la main. Il y a dans cette conversation une familiarité qu’on retrouve chez la plupart des suppliants.

On vient d’ailleurs en famille. En famille, on s’assoit sur la litière, dans le chœur ou face aux statues; en famille, on se lève, on s’agite, on sort des paniers bouteilles, bougies et friandises car on est là pour un bon moment. En famille, on boit du coca et du posh, une aguardiente locale recommandée pour faire sortir le malin.

Ici, un homme agenouillé fixe sur le carrelage des cierges qu’il passe au dessus de la flamme pour en faire fondre la cire. Son geste est sûr, précis, et les bougies s’alignent en rangées multicolores. Chacune des couleur exprime un des aspect du vœu qu’il va formuler.  Son attitude m’évoque un enfant qui disposerait au sol ses soldats de plomb. Ceux-là sont de cire  mais monteront tout à l’heure à l’assaut du ciel pour tenter d’obtenir une trêve dans le combat qu’il mène contre un mal de tête chronique et des douleurs dorsales invalidantes.

Colonisé, pasteurisé, évangélisé, bref, civilisé, l’indien n’en a pas moins conservé ses rites qu’il a habilement revêtu des habits qu’on lui proposait. Il emmaillote les croix, il adore toute une variété de Jésus qui sont sans doute les cousins d’un héros maya, il a la foi aveugle du charbonnier qui “croit ce que l’Eglise croit et que  l’Eglise croit ce qu’il croit,” et il sacrifie des poulets.

La doctrine ne dit rien là-dessus et on se perd en interrogations quand on est témoin du cérémonial. Pourquoi est-ce tantôt au pied de la statue d’un Saint, tantôt au milieu de la nef ? Comment a-t-on choisi le gallinacé ? Est-celui dont le chant commençait d’agacer le voisinage ? L’a-t-on nourri exclusivement avec du maïs avant de le faire jeûner ? Lui lave-t-on les pattes et les plumes ? Je ne sais mais les poulets que j’ai aperçus étaient du plus beau blanc. Les  indiennes les font tournoyer devant elles à plusieurs reprises. La volaille étourdie est ensuite très humainement exécutée : on lui tord proprement le cou.

Devant ces humbles attitudes, on regrette de ne pas croire aux miracles. “Quand la raison atteint sa limite, seule la foi poursuit son ascension” disait le philosophe Alain, athée et anticlérical convaincu et qui pourtant gardait sur la religion un regard empreint de curiosité, de respect et, disons-le même, de tendresse.

J’avoue pour ma part trouver cette version indigène du culte assez exaltante, et je suis sorti de l’église de San Juan de  Chamula troublé d’avoir vu ainsi s’avancer vers l’autel le profane au bras du sacré.

Quand viendra Yom Kippour, il me faudra aller flâner vers la rue des Rosiers, à Paris. On y sacrifie encore le poulet. C’est Kapparot. Les ligues de protection animale s’en émeuvent et les rabbins progressistes le déplorent. Pour les poules,  c’est toujours l’abattage.

Pierre-André Dupire

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