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Sur le vieux port à Marseille / Provence

  • pierre-andré dupire
  • 26 janv. 2015
  • 2 min de lecture

Biennale des Arts du Cirque. 24 janvier 2015

On avait monté une scène sur le vieux port. On attendait le funambule. Il allait rouler sur un fil en bicyclette avec le fort Fort Saint Jean et les mats des bateaux en fond de décor. Les badauds assemblés allaient l’imaginer pédalant sur des aiguilles. Ou bien, en s’écartant un peu de la Canebière pour s’installer là où le quai du port prolonge le quai des Belges, ils allaient le voir s’élevant en danseuse vers Notre Dame de la Garde. C’eût été unique et édifiant. Une métaphore de la quête dont cette ville est le symbole même pour tous les immigrants qui viennent y infuser ou ses marins résolus quittant le port pour s’en aller conquérir la sardine. Les enfants auraient eu droit à un bâton de barbe à papa. Les mères se seraient tordu le coup en retenant leur voile.

Las ! Le mistral s’est levé. Tenace et résolu, il eut raison de tout. On annula le spectacle. Le funambule se réfugia dans un bar pour s’y réchauffer d’un vin chaud. Quel dommage ! On eût aimé le voir arraché de son fil par le vent, brûlant le ravitaillement, tourbillonnant en danseuse dans l’air, puis, comme ces phalènes que la lumière appelle, trouvant auprès de quelque réverbère un substitut irrésistible à l’église qu’il avait dans son viseur un peu plus tôt.

Au théâtre de la Criée, pendant ce temps, une pianiste russe et chétive engageait son combat contre les Variations Goldberg. Je crus ne pas reconnaître le motif initial, inhabituellement syncopé. Ramené à la fin, il m’apparût plus conforme à mes souvenirs. Du coup, cette asymétrie me sembla la marque même de l’oeuvre en construction. L’interprète s’appliquait moins a des variations qu’elle n’édifiait, degré après degré, le monument. Par moment, le vent déchaîné haussait la voix, semblait vouloir soulever le toit du théâtre, et c’est comme si l’interprète avait du lutter contre d’autres esprits que ceux de l’œuvre.

Peut-être n’y avait-il là qu’un effet des circonstances, avait-elle été retardée, était-elle arrivé avec les mains roidies par le froid. Mais qu’importe au fond qu’elle ait eu les doigts gourds ou voulu afficher sa vision artistique, ce fut un beau concert. En un français maladroit, elle l’avait dédié aux victimes des attentats à Paris.

Pierre-André Dupire

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