top of page

Un thé à Ouirizen / Atlas, Maroc

  • pierre-andré dupire
  • 10 avr. 2017
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 2 déc. 2019

Marrakech, 23 décembre 2016

Quelques kilomètres après Tahanaout en direction d’Ourika, nous empruntons, Faten et moi, une piste qui mène jusqu’à un douar reculé, Ouirizen. Elle serpente en grimpant sur les coteaux. Du sommet de la colline, la vue sur l’Atlas est magnifique. En contrebas, des ouvriers épierrent un champ et y aménagent de petites levées de terre pour contrarier le ruissellement des eaux. Ils semblent ne faire qu’un avec le paysage tout comme deux jeunes femmes que nous voyons revenir des champs en poussant leurs moutons vers leur village. Comme toujours, je suis frappé par le compagnonnage intime qui unit dans ce pays l’homme et l’animal. Avenantes, elles nous invitent à venir prendre le thé chez elles. Nous les devançons. A peine avons-nous garé notre voiture à l’entrée du village qu’elles arrivent, dévalant la piste qui descend jusque là.

Nous les suivons jusqu’à leur maison où nous pénétrons à la suite des bêtes. Hormis deux deux très jeunes enfants, il n’y a là que des femmes : leur mère qui doit avoir une soixantaine d’années, ses autres filles et l’une de ses brus. Toutes sont souriantes, joyeuses, espiègles.


Fatna, qui nous a invitée, est lumineuse. Les mots d’une chanson d’Anne Sylvestre me reviennent en tête : “La terre colle à mes sabots, ne saurais m’en défaire.” Mais si elle est rivée à son village, on voit affleurer chez cette jeune femme son désir d’élargir ses frontières et d’arpenter le monde. L’hospitalité qu’elle nous a témoignée est la marque de cette démangeaison. Les étrangers que nous sommes lui font entendre un chant bien différent de celui des semailles et des herbes sèches et sa curiosité est comme de la gourmandise. Imagine-t-elle, à nous écouter, vivre d’autres vies que la sienne ? Et ses sœurs, qui semblent heureuses, rêvent-elles aussi d’autres aventures que celles que connait leur humble village ?


Nous sommes un vendredi. On apporte le couscous dans un large plat de terre. Une couronne d’oignons confits coiffe le dôme de semoule sous laquelle on a caché les morceaux de viande. Nous avons déjà mangé et n’acceptons que le thé. La conversation porte sur le village, les activités de la maisonnée, les hommes. Ils travaillent à Tahanaout, qui comme maçon, qui comme employé à la mairie. Le temps s’étire doucement.


Quand nous décidons de repartir, Fatna nous raccompagne jusqu’à notre voiture. Nous longeons le lit de l’oued qui court au fond du vallon puis grimpons entre les maisons qui s’étagent sur le flanc nord. Ouirizen compte 140 âmes. La plupart des habitations sont en adobe mais on passe au pied de murs de parpaings de ciment qui défigurent l’unité des lieux. Tous les villages de l’Atlas souffrent aujourd’hui de cette prolifération. Ce n’est guère différent en France. Le charme des villages anciens y est semblablement mis à mal par les constructions modernes.


Nous retrouvons notre voiture. Adossés à un mur, une brochette de femmes profite des derniers rayons du soleil. Elles aussi sont joyeuses. Protégeant leurs yeux de la lumière dont elles détournent leur visage, elles semblent se faire des confidences ponctuées d’éclats de rire. Notre visite a vraisemblablement été un petit évènement pour le terroir. On en parlera quelques temps encore.


Que serait ce village sans les femmes qui y demeurent ? "Le ciel leur pèse sur le dos, leurs doigts sont rivés à leur seau. Elles ont la patience des graines et l’âge des fontaines." L’unique source des lieux, ce sont elles.


Nous roulons sur la piste cahotante. Un camion approcheet nous nous écartons pour le laisser passer. C’est peut-être l’un des hommes de la maison qui a fini sa journée.

Pierre-André Dupire

Comments


bottom of page